On n’oubliait jamais bien longtemps la Peur à Cloverfield.

C’était, en fait, même, ce qu’on oubliait le moins. Elle était là le matin, au lever, au petit-déjeuner, au coucher, dans la journée. Elle planait sur l’orphelinat comme une boue noire et vaporeuse. Étouffante, Elle se faisait pourtant discrète.

Jusqu’au moment où Elle venait vous rattraper.

Tous les orphelins s’étaient regroupés là, silencieux, pour assister à la remise de la clé au dernier œil du Sycophante. Ils se tenaient en rang serré, loin de la femme, loin de cet être redoutable, sans oser, presque, respirer. Nul ici n’avait oublié ce qu’il était advenu de la précédente princesse. Nul ici n’avait oublié le cadavre éviscéré et les cornes sanguinolentes. Tous ne pouvaient que se rappeler. C’était aussi leur fatalité.

Aileen s’était avancé, pourtant, la clé entre ses doigts tremblants. Elle avait fui du regard les pupilles horizontales de la Propagande, avait détourné le regard lorsque la main pâle avait saisi la clé cuivré. Dès que la petit clé avait touché sa peau, la Propagande eut l’air de se tendre, comme emplie d’une excitation particulière. Aileen aurait voulu s’écarter, fuir, maintenant que sa tâche était accomplie mais tous la regardait et, plantée devant le monstre, ses pieds ne semblaient plus décidés à l’écouter. Elle était restée là. Le sein fier, le dos droit, la Propagande avait bêlé de joie.

Dans l’assemblée, le silence s’était fait.

On ne s’était pas bien rendu compte, au début. On n’avait pas su. Mais la télévision s’était allumée et le crépitement de la neige sur l’écran avait empli la pièce de son lugubre. Petit à petit, des images s’étaient formés sur l’écran, des fantômes et des résidus de films, des sons, fugaces et incertains.

Il avait suffi d’un geste.

Beaucoup, même, ne l’avait pas vu.
D’un coup d’épaule, la Propagande avait poussé Aileen vers l’écran.

Elle l’avait traversé.

Elle s'était retrouvée dans un monde en noir et blanc. Un monde étrange. Une ville, en fait, une ville déserte avec des immeubles aux façades étranges. Puis un passant émergea au détour d'une rue. Sans pouvoir vraiment le voir, Aileen savait qu'il était roux. Elle se précipita vers lui. D'autres passants se montrèrent. Ils étaient tous de dos. Et elle avait beau les poursuivre, elle ne les rattrapait jamais. Personne ne la regardait. Personne ne la remarquait.

Si vous avez l'impression d'être martyrisé, sachez que c'est totalement fortuit. Le dernier lieu spécial de l'orphelinat, en effet, peut tant être considéré comme une punition que comme une bénédiction. En effet, il suffit que vous rentriez dans le poste pour y être bloqué dans l'émission qui s'y déroule. L'alternative pourrait être séduisante si la Propagande, taquine, ne pouvait changer à tout moment le programme qui passe dans le poste. Du film sans heurts au film d'horreur, il n'y a qu'un pas...

La Propagande sait tout ce que vous avez dans la tête alors le monde de la télévision se compose de tout ce qu'elle contient. Elle construit un univers qui vous ressemble au détail près, on pourrait même dire que c'est votre copie conforme. Ce monde est donc en noir et blanc et il s'agit toujours d'une ville. Vous pouvez rapprocher le monde de la télé d'Inception et la Propagande en est l'architecte. Côté ambiance, on se rapproche plus de Birdland dans Sang d'Encre (Poppy Z. Brite), Pleasantville ou de cette vidéo. Le monde de la télé n'est pas un cauchemar mais il tend à le devenir plus longtemps vous y restez. Le seul moyen d'en sortir est de mourir.
En temps normal, la télévision affiche de la neige mais quand quelqu'un est dedans, elle diffuse ce qui se passe à l'intérieur. Plusieurs personne peuvent y entrer, auquel cas, contrairement au miroir, le débarras ou à la clairière, le monde de la télé s'adapte à toutes les personnes qui s'y trouvent. Les orphelins enfermés à l'intérieur peuvent influer sur l'univers mais la Propagande peut reprendre les rênes à tout moment et détruire ce que vous avez fait. Voyez-la comme l'administratrice alors que vous n'êtes que modérateurs...