The world is black and white, they say... Maybe, I think.
I will do you harm.
"La seule arme des enfants contre le monde des adultes, c’est l’imaginaire."
Chaleureuse. Oh que oui, Levy est une enfant chaleureuse. Bien qu’elle n’hésite pas à aller vers les autres pour faire de nouvelles rencontres, il n’est pas rare que ce soit au contraire les autres qui viennent à elle. Elle a ce petit quelque chose dans son aura, dans son sourire, qui met tout de suite à l’aise et qui lui permet d’acquérir facilement la confiance de ses camarades. Peut-être sans gentillesse, peut-être sa douceur. Peut-être autre chose. Ou peut-être simplement parce qu’elle est bien l’une des dernières personnes à ne pas avoir été tant affecté par la disparition des adultes et par tous les changements qui s’ensuivirent. Elle arrive encore à voir le monde en rose malgré toutes les catastrophes qui surviennent. Au fond, elle est sûrement l’une des dernières personnes que l’on peut considérer normale à Cloverfield.
Maternelle. Encore un trait de caractère qu’il est impossible de réfuter dans son cas. La jeune fille est en effet extrêmement protectrice et maternelle envers les plus jeunes. Quand elle en voit, elle ne peut s’empêcher de venir les aborder pour jouer avec eux et effacer cette mine inquiète ou triste de leur visage. Et c’est sans surprise qu’elle est considérée comme une grande sœur ou plus simplement comme une mère de substitution pour ces petits orphelins dont elle souhaite tant s’occuper.
Observatrice. Ce qu’il faut savoir, c’est que Levy est également observatrice. Elle ne l’est pas naturellement mais l’est devenue… A force de surveiller les nouveaux venus et de s’assurer que les jeux ne dégénéraient pas en dispute, ce genre de choses. Donc, à moins d’être bon comédien, n’essayez pas de lui cacher quelque chose : elle le remarquera très rapidement.
Flexible. Certes la demoiselle est souple, mais je ne parle de flexibilité en ce sens. C’est plutôt de sa grande adaptabilité dont je veux parler. Un mort, une disparition, une catastrophe ? Ce n’est pas que ça ne lui fait ni chaud ni froid, mais elle passera bien vite outre ces faits. Tout ce qui ne la concerne pas directement a beau l’intriguer au possible et la pousser à se mêler des affaires des autres, ça lui passe rapidement. Elle vit l’instant présent. Puis, après tout, sans cela, elle ne serait certainement pas aussi douce et tranquille… En effet, l’ambiance sordide de l’orphelinat l’aura atteint depuis longtemps et elle n’aurait plus toute sa tête…
Bombe à retardement. Oui, il faut également le préciser : L’orpheline a beau s’adapter aux situations les plus délicates ou déprimantes avec une grande facilité, il y a un contre coup à tout cela. Elle se donne des airs forts mais se révèle incroyablement fragile pour qui sait prêter attention à son comportement… Pour expliquer ceci autrement, quand elle accepte sans broncher un mort ou une nouvelle tragédie, elle encaisse. Encore et encore, toujours plus. Jusqu’à ce que ce qu’elle craque, jusqu’à ce que ça explose. De colère, de larmes, tout dépend du contexte et de quelle sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. C’est très imprévisible chez elle et il n’y a aucun moyen de deviner qu’elle est sur le point de craquer. Aucun signe anormal dans son attitude. Mieux vaut se méfier au moins un tout petit peu alors, si on tient à ne pas risquer de l’énerver et non pas de la faire fondre en larme. Car si elle s’énerve, ce qui est assez rare, ce n’est pas à moitié.
Docile. Si si, c’est comme ça qu’on la qualifie. Et puis, de ce point de vue, son totem est bien attribué. Tel un gentil petit chien, elle obéit aux ordres les plus stupides et grotesque sans broncher, avec ce petit sourire aux lèvres. Un sourire étonnamment fier, qui semble dire « regardez-moi bien, tas de bouseux, j’obéis. Vous n’avez donc aucune raison de passer vos nerfs sur moi. ». Un peu naïf comme raisonnement tout de même : on pourrait très bien la jeter dans une fosse sans qu’elle n’ait enfreint la moindre règle, sur un coup de tête. M’enfin.
Fière. Hm ? La pensée citée ci-dessus vous a surpris, n’est-ce pas ? Ce n’est pas qu’elle est hautaine, mais presque. Avec une fierté comme la sienne, se plier aux règles, c’est parfois un peu dur. Sacré paradoxe hein ? Elle s’est néanmoins habituée à obéir gentiment à tout ordre donné afin de ne pas s’attirer d’ennuis. Mais je vous assure que ses pensées se font acerbes lorsqu’on tente de l’humilier d’une façon ou d’une autre : et si elle peut répliquer, elle le fera. Sans brutalité évidemment, elle ne sait absolument pas se battre. Juste avec quelques phrases piquantes accompagné de ce ton agressif et d’un regard provocateur.
Intuitive. Ca, c’est la chose à savoir sur Levy. Tant que la situation ne l’exige pas, on peut considérer son cerveau comme de moindre importance. Quand elle sent qu’il y a du danger dans l’air mais que son cerveau n’enregistre rien d’alarmant, je vous affirme qu’elle choisira de déguerpir plutôt que de rester sur place. Excepté pour ce qui est de cuisiner ou d’essayer de résoudre un problème compliqué, elle n’écoute que son intuition. Et elle est butée, quand elle s’y met.
I will break my arm.
I'm a victim of your charm.
"Le monde n'est ni noir, ni blanc, il est d'un gris plus ou moins clair."
Prologue.Levy est arrivée à Cloverfield en début du mois de janvier, en l’an 1928. Ce n’était alors qu’un bébé, abandonné à sa naissance par ses parents. Considérée comme un accident par ces derniers, ils n’avaient malgré tout pas eu le courage d’avorter et avaient décidé d’accoucher puis de confier leur enfant à un orphelinat dès que possible. Ce qu’ils firent donc, sans regrets apparents.
Et elle grandit donc ainsi. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, la jeune fille ne fut absolument pas affectée en apprenant que sa mère et son père l’avaient volontairement abandonné. A dire vrai, cela lui était complètement égal. Elle considérait ses camarades et les employés comme sa seule et vraie famille. Elle était heureuse, elle aimait s’occuper des plus jeunes et accueillir les nouveaux, les consoler, les aider à remonter la pente. C’était naturel à ses yeux d’agir ainsi, comme si tout le monde était frères et sœurs, pères et mères. Et à l’époque, ça l’était vraiment. Une bonne ambiance régnait, les rires semblaient résonner tels des échos entre les murs des bâtiments. Elle n’avait franchement pas à se plaindre.
Malheureusement, il y a toujours des évènements qui doivent bouleverser une vie… Plus ou moins brutalement.
Pour Levy, ce fut long et progressif. Une torture, une agonie insoutenable.
Chapitre I.
4 Octobre 1940
Je marchai d’un pas rapide à travers les couloirs, impatiente. Ma démarche était assurée, énergique. J’étais presque en train de courir. Martha nous avait interdit de courir dans les couloirs. Mais je risquais de ne pas voir le petit nouveau si je ne me dépêchais pas ! Toute la masse de petits curieux qui ne faisaient que regarder les orphelins tout juste arrivés m’empêcherait de rejoindre ce dernier ! Et ça, ce serait très problématique. J’étais toujours l’un des premiers enfants à venir souhaiter la bienvenue à Cloverfield. Pas question de me faire doubler !
J’arrivai en trombe dans le hall. Et découvris dans un soupir désespéré que la dite masse s’était déjà formée autour d’un petit duo absolument adorable. Même de loin, je pouvais voir leur bouille dépitée et quelque peu effrayée par le monde.
Hm… J’allais devoir attendre que tout cela se calme pour aller leur parler un peu… Sauf si j’avais de la chance et que Martha arrivait en nous hurlant de « laisser respirer ces pauvres enfants ».
Malheureusement, elle ne semblait pas disposée à jouer les policières aujourd’hui. Il fallait croire que le sort s’acharnait sur moi aujourd’hui. Après tout, j’avais perdu trois parties consécutives de cache-cache cette même journée. Oui, j’étais maudite, en ce 4 Octobre 1940.
♥ ♦ ♣ ♠
Je me penchais légèrement au dessus de lui, un air curieux sur le visage mais un sourire qui se voulait rassurant aux lèvres. Il leva à peine la tête, juste assez pour que je puisse voir son visage.
Une étrange sensation m’envahit de toute part.
Il avait la peau pâle. Une chevelure d’ébène, des yeux d’un violet insolite. Il était aussi mignon que tous les autres enfants de son âge. Mais il y avait autre chose. J’avais l’impression que lui en particulier, je ne risquais pas de l’oublier. Pas parce que nous pourrions éventuellement devenir amis, pour autre chose. C’était bizarre. Mais c’était mon instinct qui me le disait. Or, j’écoutais et faisais toujours confiance à mon instinct. Pas au point d’en parler aux autres évidemment, mais suffisamment pour garder cette information dans un coin de ma tête.
L’espace d’un instant seulement, mon visage laissa paraître de la surprise, avant qu’un nouveau sourire chaleureux ne se dessine sur mes lèvres, comme si rien ne s’était passé, comme si je n’avais rien ressenti de bizarre.
«
Hey ! C’est toi l’nouveau c’est ça ? Moi c’est Levy, et toi ? »
Il avait l’air tellement mignon, avec ce petit air fragile et vulnérable… J’avais même envie de le prendre dans mes bras, tiens !
2 janvier 1941
Et mince... J'étais vraiment douée, moi. Réussir à me cogner contre un coin de table si fort qu'un bleu restait sur ma jambe, il fallait le faire. Je comprenais un peu mieux pourquoi Martha nous disait toujours de ne pas courir dans le hall.
En tout cas, pas question d'aller à l'infirmerie maintenant ! J'avais entendu des deux nouvelles sœurs qui arrivaient à l'orphelinat pour y travailler. A moins d'être particulièrement rapides et motivées, elles ne devaient pas déjà se trouver dans la cuisine ou l'infirmerie... Si ?
Je me heurtai soudainement à un obstacle si imposant que je dus reculer de quelques pas en battant des bras pour ne pas tomber en arrière. Une main puissante mais à l’étreinte douce me rattrapa par le poignet pour m’aider à reprendre mon équilibre.
Lorsque je me sentis de nouveau stable, je levais les yeux, reconnaissante et curieuse à la fois, vers la personne que j’avais malencontreusement bousculée. Et découvris avec une pointe de déception amère que c’était un adulte. Enfin, une adulte plutôt. Carrure bel et bien imposante, cheveux lisses et blonds, yeux noirs. Mais elle semblait… Gentille.
Peut-être un peu trop intriguée, je ne pus m’empêcher de me confondre en excuse puis en remerciement avant d’ajouter :
«
Dis, tu t’appelles comment ? T’es une des nouvelles ? Tu remplaces l’infirmière ou la cuisinière ? Et elle est où ta sœur ? »
Tant de questions relatives aux rumeurs que j’avais entendu à leur sujet. Je voulais m’assurer de son identité et de son rôle ici en enchaînant question sur question avant même qu’elle puisse répondre. Et cette dite réponse ne vint qu’après quelques secondes de réflexion, alors que la femme paraissait un peu… Intimidée ? Non, ce n’était pas cela. Mais ça s’en rapprochait.
«
Rebecca Hingley… Je suis la nouvelle cuisinière. Ma sœur est déjà à l’infirmerie et… Oh ! »
La dénommée cuisinière attrapa doucement mon bras et remonta un peu ma longue robe, dévoilant cette grosse marque bleue que je venais tout juste de me faire.
«
Mais tu es blessée dis-moi ! Allez, viens que je t’emmène à l’infirmerie, ma sœur pourra s’occuper de toi.♥ ♦ ♣ ♠
Je levais mon bras au dessus de ma tête, surprise. Ca ne faisait réellement plus mal. L’infirmière m’avait donné quelques cachets, avait enduit mon bleu d’un produit froid et visqueux, le tout dans une ambiance chaleureuse. Puis elle m’avait laissé partir en compagnie de Rebecca, avec qui je marchais actuellement dans les couloirs.
«
Rebecca… Tu pourrais m’apprendre à faire la cuisine ? » Demandais-je à brûle-pourpoint, encore perdue dans mes pensées.
Elle sembla surprise, l’espace d’un instant. Mais cette surprise fut rapidement remplacée par un large sourire qui me réconforta quant à la réponse à venir. Elle hocha simplement la tête. Je lui rendis un sourire complice.
Chapitre II
3 avril 1941
«
Non ! J’en veux pas de ta soupe ! J’suis sûre que t’as mis ton truc pour les herbes dedans toi aussi ! »
Cette phrase tournait en boucle dans ma tête alors que je venais de la lui hurler. De la hurler à Gregory, ce si gentil jardinier qui était comme un oncle pour moi, que je connaissais depuis toujours. Je venais de craquer devant lui, de passer mes nerfs sur lui. Mais c’était sa faute aussi ! Rebecca n’avait pas pu se procurer du désherbant toute seule, quand même ! C’était évident que le jardinier le lui avait prêté le temps qu’elle en mette dans la nourriture… Elle ne m’avait même pas vu à ce moment-là. Heureusement d’ailleurs. J’aurais été dans un sale pétrin sinon. Mais là… Je venais de me fourrer toute seule dans ce dit pétrin en révélant ce que je savais. Qu’allait-il me faire ? Me frapper ? Me menacer pour que je n’en parle à personne ?
«
Mais, ma p’tite Levy ! Qu’est-ce que tu racontes là ? »
Je le regardais. Longuement. Sans ciller.
Il était surpris par ce que je venais dire. Je vis cependant dans son regard une certaine culpabilité. Il était au courant. Il était donc impliqué dans toutes ces méchantes choses que faisaient Rebecca et Lillian.
Au final, j’avais simplement été naïve. Je m’étais laissé bernée. Quoi qu’on fasse, les adultes, peut-être même les enfants en grandissant, ils devenaient méchants et cruels. Ils étaient tous pareils. Martha elle-même devait être sur le coup, c’était obligé… Sous ses airs durs mais tendres, elle était forcément impliquée. Je les détestais tous.
Je me redressais vivement et essuyai les larmes qui coulaient sur les coins de mes yeux.
«
Je te déteste ! Je vous déteste tous ! Vous voulez tous nous tuer ! »
Je pris ensuite mes jambes à mon cou, incapable de soutenir plus longtemps une conversation avec qui que ce soit.
5 avril 1941
Je souris. Un sourire faux, hypocrite. Mais tellement suffisant pour Rebecca, qui n’y voyait que du feu. J’empêchais les larmes de couler en repensant à ce que je l’avais vu faire, en repensant à tous ces bons moments passés avec elle, qui m’avaient permis de rapidement oublié le directeur et ses appels fréquents qui malgré tout avaient fini par se dissiper. C’était elle qui m’avait appris à cuisiner, c’était avec que je prenais plaisir à donner un coup de main aux fourneaux.
Avant. Parce que maintenant, chaque fois qu’elle était sur le point de servir la soupe, quelques minutes avant que les enfants débarquent au réfectoire pour avoir leur portion, elle me disait de partir. Je savais pourquoi. En revanche, je ne savais pas quoi faire. Le dire aux autres ? Les avertir et leur dire de ne pas manger la soupe ? Je n’étais peut-être pas la seule au courant. Néanmoins… Qui me croirait ? Qui croirait que la douce et timide Rebecca les empoisonnait grâce au désherbant que ce bon bougre de Gregory devait lui procurer ? Que l’attentionnée Lillian rendait leur état pire encore ? Que la sévère mais si tendre Martha était certainement elle aussi dans le coup ?
J’étais seule. Je ne savais absolument pas quoi faire.
«
Ca va Levy ? Tu as l’air bizarre aujourd’hui. »
Je sortis de mes pensées et revint douloureusement à la réalité. Je devais faire très attention, si je ne voulais pas m’attirer d’ennuis.
«
C’est rien, t’inquiète pas ! Je suis un peu fatiguée en ce moment. »
Je fis mine de bailler pour rendre mon mensonge plus convaincant. Cela sembla satisfaire la cuisinière, qui me tapota affectueusement la tête. Avec ce regard chaleureux. Hypocrite. Faux.
«
Tu ferais peut-être mieux d’aller à l’infirmerie alors. Tu dois être malade. »
«
Non ! » M’exclamai-je aussitôt.
Devant l’air décontenancé de la femme, je m’empressai d’ajouter quelques arguments qui me passaient par la tête :
«
Je veux dire… J’voudrais pas embêter Lillian. Elle a beaucoup de travail avec tous les enfants malades… Puis j’vais pas si mal que ça ! » Assurai-je d’une voix tranquille mais d’un ton ferme.
«
Oh… D’accord. Tu es vraiment mignonne tu sais ? »
Je souris.
Je ne voulais pas qu’elle découvre que je connaissais toute la vérité. Je ne voulais pas mourir. J’avais peur. Et j’étais seule.
Qu’est-ce que j’étais censée faire ?
3 mai 1941
L’ambiance était pire que morbide.
Les toussotements, les crachats, les pleurs. Parfois les cris étouffés. Le sang, les bleus, les coupures, les teints pâles et les blessures infectées.
Tout le monde allait mal, d’une façon ou d’une autre, physiquement comme psychologiquement. Moi y compris.
J’avais attrapé une sale maladie. J’étais clouée sur ce fauteuil et étais totalement incapable d’en bouger. Au moindre mouvement, je sentais un mal de tête infernal marteler mon crâne et le tournis me prendre aux tripes. J’avais déjà vomi plusieurs fois. Plus ou moins volontairement. Chaque fois que Lillian m’apportait une dizaine de cachets, chaque fois que Rebecca m’apportait de la soupe. Je voyais aussi Grégory et Martha de loin, parfois. Et j'avais un pincement au cœur.
J’étais crispée, j’étais une véritable boule de nerfs, une bombe à retardement qui étonnamment n’avait pas encore explosé. La peur et la crainte étaient les seules chaînes qui m’empêchaient de hurler à tout le monde qui étaient les coupables. Que les adultes étaient tous des êtres cruels sur qui on ne pouvait pas compter. Quoi que ce serait inutile, tout le monde s’en doutait ou en étais clairement conscient à ce stade.
Peut-être que si j’avais réagi plus tôt, peut-être que si j’avais pris l’initiative de parler, nous n’en serions pas là… Je m’en voulais. Vraiment. Je ne savais cependant et malheureusement toujours pas quoi faire pour arrêter ce fléau.
Il n’y avait personne pour nous sauver.
Chapitre III
27 juin 1941
Enfin.
J’étais guérie.
Pas totalement, certes. Mais c’était tellement soulageant ! De ne plus être cloîtrée à l’intérieur, de pouvoir sortir et éviter la présence des sœurs machiavéliques. Je ne les comprenais vraiment pas… Elles étaient si attentionnées. Et prévenantes, en apparence du moins. Mais derrière, elles nous empoisonnaient, nous rendaient malades, nous blessaient. Il y avait aussi eu des morts.
Cette pensée me fit l’effet d’une douche froide. Je m’appuyais contre un tronc d’arbre, encore un peu faible pour supporter de vives émotions comme celles-ci.
Des amis… Non, des frères et des sœurs. Ils avaient succombé aux tortures de Rebecca et Lillian. Ils avaient plié sous le mauvais traitement, sous cette véritable torture. Je faisais partie des chanceux qui avaient survécu, fort heureusement pour moi. Pourtant, nous y avions tous laissé quelque chose. Un être proche, un sentiment de trahison. Parfois les deux.
Je voulais juste partir. Pas définitivement, non, juste faire un tour. Loin de l’orphelinat, pour me changer les idées.
Je me redressais et marchais à travers le petit sentier qui menait à l’arrêt de bus. Là-bas au moins je serais seule, je pourrais y réfléchir tranquillement.
J’étais souvent seule ces temps-ci.
Plus que quelques mètres, et j’étais arrivée à l’arrêt.
En tout cas, c’était ce que je croyais.
J’ouvris la bouche, la refermai. Devais-je m’affoler ? Je m’étais trompée de chemin, sûrement… Pourtant le sentier allait droit, il n’y avait aucune chance de se tromper de chemin.
Alors… Pourquoi était-ce comme si j’avais fait demi-tour ?
L’orphelinat était devant moi. Il aurait dû être derrière. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond, ce matin. Il n’y avait aucun doute là-dessus ; et pas besoin d’un instinct particulièrement développé pour le sentir.
J’ignorais cependant ce qui allait réellement se passer en ce 27 juin 1941.
7 juillet 1941
Des applaudissements, de toute part. Moi-même j’applaudissais, un mince sourire aux lèvres. Après de longs jours passés à ne rien faire de nos journées, à dévaliser la cuisine, à faire tout ce que nous ne pouvions pas faire autrefois en bénissant ce qui avait fait disparaître les adultes, nous nous étions enfin décidé à nous organiser. Et celui qui allait finalement nous diriger était Lucifel. Ce petit bout de chou qui m’avait marqué à son arrivée et à notre rencontre. Je n’avais pourtant jamais imaginé qu’il deviendrait un jour notre Prince.
C’était surprenant, la tournure que prenait les évènements. Puis, pour une fois que la dite tournure des évènements était positive. En effet, depuis que les adultes avaient disparu, j’avais senti un poids disparaître de mon cœur. J’étais plus légère, de nouveau heureuse. Nous étions tous ou presque rétabli des mauvais soins du personnel. Les jours sinistres nous semblaient lointain, l’avenir étincelant paraissait possible.
Au début, j’avais été dépité. Littéralement. Ne plus voir Rebecca et Lillian m’avait fait un peu de peine, car au fond je gardais un peu d’affection pour elles. Un tout petit peu.
Le pire, ça avait été de réaliser que je ne verrais plus Martha et Grégory. Ils n’avaient jamais concrètement fait de mal à moi et aux autres orphelins. Toujours prévenants et attentifs, ils étaient restés jusqu’au bout. Etrangement, j’étais vraiment triste de savoir qu’ils étaient partis. Alors qu’ils étaient certainement mêlés aux magouilles des sœurs machiavéliques.
Le Directeur ? Je bénissais son départ. Puis je n’y avais plus repensé.
J’espérais vraiment qu’enfin les périodes troubles seraient finies.
14 novembre 1941
Au début, je n’y avais pas cru. Mais maintenant, je n’avais plus d’autre choix que de me résigner à leurs existences.
Ces monstres dont tout le monde parlaient depuis ce mois de juillet, ils étaient vrais. Ce n’était pas des illusions, pas des plaisantins qui inventaient une mauvaise blague. C’était réel. On commençait même à leur donner des surnoms pour les différencier. Leurs petites habitudes nous devenaient horriblement familières : les Remords sortaient la nuit, la Fièvre restait dans l’ancienne maison de Grégory. La Propagande défendait jalousement la télévision, l’une des seules sources d’amusement que pouvait nous procurer ces lieux. C’était effrayant, angoissant. On ne savait pas quand ils pouvaient nous tomber dessus. On ne savait pas même si un jour ils nous tomberaient dessus et si en ce jour maudit ils nous attaqueraient ou resteraient de marbre.
L’ambiance était tout simplement insoutenable.
Sans parler de l’alliance qui semblait se former entre le Sycophante et Lucifel. A moins qu’elle ne soit déjà formée ? Quoi qu’il en fût, je trouvais cela… frustrant, de ne pas savoir si cette dite alliance nous serait bénéfique ou non. Une chose était certaine : Lucifel avait quelque chose à y gagner, y avait déjà gagné quelque chose, ou était forcé. Sinon, il ne se serait jamais allié au Sycophante. Exception faite si cette rumeur était infondée.
Notre situation était décidemment délicate en ce moment. Qu’allait-il encore se passer par la suite ?
Epilogue
La mort d’Amity, la chasse aux feuilles et tous les nouveaux morts à déclarer… Il s’en est passé des choses depuis. Mais, étonnement, Levy ne perd pas le moral et continue de sourire et de se monter chaleureuse envers ses camarades. Elle s’est adaptée à sa façon à ce mode de vie, et elle s’en sort plutôt bien. Rang 4, ça lui permet de passer relativement inaperçue, son métier lui convient, et elle se montre aussi obéissante que n’importe qui d’autre qui tiendrait à sa peau.
Reste à voir ce que l’avenir lui réserve…